HESTIA HÔTEL

6h41, Le 12/01/21

Je suis assis là et l’étau de ma vie s’est soudainement écarté, libérant mes chaines, les anneaux du temps cédants sous la force. Le monde, le mien, ma restriction d’un seul instant se change en énergie libérée, circulant à tort et à travers : je me sens transcendé. Je suis encore là, et rien ne peut être plus somptueux, l’humilité devant l’élan de mes sentiments ouvrant une intersection parfaite au milieu de mon existence, ma conscience dilatée, ni libre, ni détenue, sans objet, ni idée.


Mais il subsiste un néant infini, teinté du plaisir d’y céder. Se libérer des songes pour être pleinement. L’amour s’y révèle sans fin, sans retenue. J’aime tout des êtres en vie : vos colères, vos erreurs, vos différences, vos défauts. J’exige de vous aimer sans conditions, à l’unanimité, sans détours ni sourires hésitants. Cette sensation me traverse, rien ne se fixe ni s’interrompt. Je ne garde rien, je ne veux rien posséder, ni m’accaparer.


Ici, nulle part, en perpétuel mouvement, personne ne m’appréhende, ne m’anticipe, la liberté se dévoile, libre d’être sans pesanteur de l’âme. Le prévisible comme un blasphème. C’est peut-être ici que la délivrance s’annonce, dans cet interstice entre l’insécurité et l’alignement. Être sans entraves, sans compromis. Détaché de tout regret éventuel.




SPACE FALAFEL Restaurant

17h16, Le 12/01/21

Je ne sais pas à quel instant ce sentiment est apparu. Qu’importe après tout. Il s’est installé sans prélude. Peut-être lorsque l’avion a décollé laissant le superflu au sol. Lorsque le soleil caressait les cieux ? Quand la neige contournait les paysages au sol ?


Arrivé, l’aéroport était désert, peut-être l’absence ? Ce mélange délicat de solitude et de liberté. Cette abstraction sociale, d’espaces vastes, inhabités. Cette mélancolie des moments passés et révolus. Résolument si actuels, résonnants dans chacun de mes pas.


Ces souffrances résorbées, dispersées dans mon corps et sous ma peau. Des histoires qu’on raconte sans amertume. Qu’on se rappelle, silencieux. Je marchais, libéré du sempiternel quotidien et de ces cycles.
Courir après d’intenables perspectives ? Non, le présent est déjà trop dense. Complet.


Poursuivre l’espérance ? Se violenter pour mieux briller, se blesser à force de principes, de méthodes, de restrictions intellectuelles, de rituels mortifère.Les efforts comme une pénitence s’opposent au contentement que la vie peut nous offrir. Rajouter, allonger, complémenter, la tyrannie du supplémentaire. Je suis en manque de vide, de simplicité, de sobriété et d’espaces pour laisser mes idées s’étendre, se dilater à leur guise, se contracter ensuite.


Ce bruit moderne tape sur mon crane, ces informations toxiques, ces radios bruyantes, ces téléphones intrusifs, ces articles sensationnalistes, ces gens stressés, ces rues qui empestent, ce mouvement sans fin. C’est trop. Trop pour mes capacités.


Cette surcharge intellectuelle est écœurante, gênante. A chaque distractions, je sens l’usure. Le temps se perd sans cesse devant les injonctions : la retraite, l’argent, les enfants, la sécurité… Des vies dilapidées.
Le temps s’est écoulé entre nos doigts. Et à mesure d’argent envolés, nous voilà sous terre, nos vies consommées d’elle-même.



HESTIA HÔTEL


7H23, Le 15/01/21

Pour le bonheur, il faut la crasse, la saleté sur nos membres, dans les interstices de nos corps.
Qui sait pourquoi nous luttons inlassablement contre l’incertain, l’impermanent. Ces maux rongent, mettent en poussières nos espoirs, diminuent nos réalités.

Les saveurs d’hier disparaissent, le gout des oranges s’amenuise, ces sensations m’échappent. L’admettre, c’est la joie à portée du cœur : le premier pas. Les plaisirs consommés, le bonheur déjà perdu.


Demain, juste un fond analogue, une forme dissemblable. Mon esprit se joue de moi : emplit de souvenirs mais inapte à les revivre. Le matin, la brume se dissipe, emporte avec elle toutes les illusions. La vie se révèle silencieuse et meurt sous mon regard chaque phénomène. Le temporaire s’éclipse.


Et dans ce transport infini, j’accepte l’éphémère de notre existence. J’épouse l’incertitude et l’impermanence. J’accepte.



HESTIA HÔTEL


8h49, Le 16/01/21

Ouvrir les yeux, le sentir immédiatement : tout est absent. Les gestes flous.
La fenêtre de ma vie se rétrécie, dérobant la lumière de sa chaleur réconfortante. La faiblesse s’immisce dans mes gestes. La lourdeur des draps est étouffante. Tout allait bien et pourtant il y a toujours ce matin hors du temps où je perds pied, où le sens des choses m’échappe au court de la nuit.


Ces moments où tout s’écroule, je les détestent. C’est supporter d’entendre la musique sans émerveillements, je ne mange plus, je m’alimente. Les parfums sont passés, il ne reste qu’odeurs. Croiser les sourires des passants m’indispose. La seule évidence dans cette grisaille ? Je n’aime plus.


Les flaques d’eau collent au sol au lieu de le parer de reflets magnifiques, et mes pas s’y enlisent. Je gesticule, je me débats, gâchant mon peu d’énergie en m’enfonçant plus encore dans la tourbe de cette journée éthérée.


Le « pourquoi » achève n’importe qui. Je l’ignore. L’attente, seul rempart contre l’offensive du néant. Je vous aperçoit tel un espoir : des regards m’attrapent au guichet d’une boutique, le long d’un banc, d’un trottoir comme des mains tendues, des épaules silencieuses, une présence suffisante pour ne pas s’écrouler. Marcher sans direction dans ce labyrinthe de doutes, d’amnésies, c’est insupportable.
Dénier ? Lutter ? Faire semblant ? C’est un fusil chargé à blanc et un coupable imaginaire.


Pour exécuter, il faut condamner. Et ces jours-là, juger est impossible. Les tribunaux sont silencieux.

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