




DANS UN ÉTANG
10h11, Le 25/07/22
Lettre à mon cœur.
Si tu restes inerte, si tu restes dans l’indolence. Si tu cèdes à la facilité, aux remparts de la terreur, peur de perdre ce qui est sans valeurs. Saisi par le superflu, terrifié par l’essentiel, désintéressé du vital. Alors ta vie t’échappera. Ton monde s’évaporera comme la flamme se trouve soufflé par des vents trop suaves. Que te restera-t-il des terreurs nocturnes, des tremblements et des sueurs froides ?
Ne cède jamais. Ne plie jamais, ne rompt jamais car face aux illusions noires, la fuite n’est pas une solution. De la vie, rien n’est à tirer, tout est à donner. Saisir, gâcher chaque seconde à les gagner. Perdre des journées à les dépenser. Vaines attitudes.
Les arbres, les ronces et les anges craquent. Car dans un cœur sec, plus rien n’existe. Dans un être cher, tout réside. Mon grand-père, l’édifice, l’homme de ma vie. Mon paroxysme. Mon ami. Mon frère.
Seules les traces me parlent. Les vestiges d’un temple rayonnant. Trop silencieux. Trop modeste pour te perdre dans l’absurde et l’inutile. Papy. Pensant comprendre tout, j’ai manqué toutes tes mains tendues. Je suis passé à côté.
Et pourtant, que puis-je faire d’autre qu’être ici. Penser et panser, les cicatrices d’un amour trop grand, trop vaste pour la cage dans laquelle j’ai menotté mon passé. Ta vie, une œuvre silencieuse. Dont la grandeur s’offre aux curieux, aux véritables. Ceux qui tendent l’oreille, les existences qui cherchent des certitudes sans fard. Trop sourds pour devenir envieux, prétentieux.
Face à ton sommeil, je n’ai pas voulu te réveiller. Tant de bruits pourtant, de cris pour que tu entendes mes derniers gémissements. Ta main soudée à la mienne. Lignes esquissées par la beauté de l’amour, de mains qu’aucunes vanités n’a su corrompre. Ton visage, marqué. Sourcils froncés sur un visage qui ne m’a offert que des sourires. Comment ai-je pu supporter ?
Que d’électroniques bruyantes, d’arceaux lumineux, de voix blanches. Trop clinique, trop cynique. Ces gens insolents armés par la certitude, les faux oracles, qui préviennent, avertissent. Crois-tu qu’on souhaite seulement les entendre mon papy ? Crois-tu que j’aurais voulu les croire ?
J’ai vu tout ton être s’essouffler, tes côtés s’amaigrir, ta peau rougir, chargée par les vagues pourpres d’une insuffisance, d’un cœur qui a trop donné. Qui n’a pas la moindre arme à rendre. Un corps sans haines, une vie de détachement. Tes draps dévorant ta disparition, te volant chacune de tes inspirations, peu à peu. Cette vérité que l’on a tant craint a tranchée. Nous a dérobé le plus cher, sans effraction. Dans une stupeur affable.
Sans pouvoir s’agripper à la moindre roche, tout s’est écroulé. Édifice d’une vie morne, frêle, ma vie ne faisait pas le poids mon Papy. Quand légions et régiments d’illusions confessent, la vérité surgit. Ma vie prend tout son sens.
Je ne veux rien oublier, Papy. Je n’oublierais rien, Papy. Rien lâcher. Rien céder. Rien perdre de nos moments uniques et délicieux.
J’aimerais. Je t’en fait la promesse. Mes mains seront le prolongement de ton ombre. Mon cœur, l’extension du tien. Mon âme, l’infusion de tes valeurs, si merveilleuses, si rayonnantes. Une morale sans faille. Une générosité perdue dans une société où l’on ne sait plus donner.
Mon papy, cette lettre n’a pas de fin, car de ta vie, il reste tout. Tu viens de naître en moi-même. Et la seule chose qui pourra m’arracher ton souvenir, sera mon départ.
Mon papy, prends tout ton temps maintenant. Tu ne nous entends pas, mais tu n’as laissé que des applaudissements, et des silences admiratifs devant cette simple tombe certainement trop petite pour ta grandeur.
Adieu mon grand père. Je ne saurais t’oublier.