AU BORD D’UN CANAL

9h36, Le 28/07/22

Ces derniers jours sont passés à la vitesse d’un éclair.
Écrasé par la densité des villes que je me réjouit de fuir, je me suis installé hier soir dans les vers 21h entre deux canaux, à DAMME HOEKE près de Knokke le zout en Belgique.


D’ailleurs, le contraste était saisissant, Lundi, je dessinais au milieu d’étangs silencieux, seuls de discrets animaux égayaient les environs, les insectes se déplaçaient sans murmures et il n’y a qu’au milieu de cette nature totale que je redeviens moi-même.


Il m’a fallu 32 ans pour l’assumer et le revendiquer : je mesure enfin le vacarme de la modernité, l’épuisement qu’il provoque au quotidien. Que de concepts pour lesquels j’ai perdu une énergie conséquente. Et ces dernières 48 heures me l’ont remémoré.


Les jours précédents mon arrivée à Tournai, je me suis installé dans plusieurs endroits en Picardie et dans le Pas de calais, d’un calme revigorant : Le Francport, Passel, Eclusiers Vaux ou encore Palluel.


Je me suis déplacé lentement pour plusieurs raisons. Lors de mon précédent séjour en Espagne et au Portugal, j’ai pris conscience de l’importance de la lenteur. Comme un plat copieux dont on manque toutes les saveurs, rouler des heures gâche tout, la diversité des paysages perd toute sa richesse. Les mélodies architecturales disparaissent trop vite. Lancé à 110Kilomètres heures, les horizons disparaissent, je ne découvre plus rien.


Comment pourrais-je avoir le temps de déceler quoi que ce soit ? A peine un détail attire mon regard, qu’il en est déjà derrière moi.


Je n’emprunte aucunes autoroutes sauf si j’y suis contraint pour atteindre un lieu. Je dois aussi être vigilant, mon véhicule est légèrement surchargé. Une centaine de kilos en trop lorsque mes réserves sont pleines, eau, carburant, alimentation, plus tout mon matériel. De plus, les conflits ukrainiens impacte le prix du carburant, je rationne mes déplacements car je me dirige vers la Norvège et les pays du nord de l’Europe sont couteux en essence.


Je roule, environ 30Kilomètres par jour, soit une trentaine de minutes en général. Cela me libère du temps pour écrire et transmettre ce que le voyage m’enseigne, pour réaliser des timelapses de mes dessins, développer un style inspiré par mon voyage, méditer et me dépenser.


Je traverse des villages, tous aussi pittoresques les uns que les autres et leurs églises m’inspirent. Je suis saisi par le modeste de ces villes miniatures. Malgré leur modestie, elle possède tout ce que les métropoles ont perdues : le lien et la dimension humaine. Les proportions sont raisonnables lorsque des centaines de milliers d’habitants rendent la vie prétentieuse et infernale.


On y retrouve de petits commerces, où la simplicité du lien humain subsiste encore. J’y pénètre, il y a une approximation du rapport humain, un commerçant raconte une anecdote à un client : l’échange compte. Dans les mots, le ton, les mimiques, les sourires, aucune crispation et l’autodérision change tout à l’atmosphère.
On sent ici que le capitalisme n’étant pas toutes ses tentacules. Vendre oui, se détruire la santé pour mieux vendre, non. En témoigne une légèreté certaine. La décoration des boutiques est approximative, parfois avec un gout si exceptionnel qu’on réalise combien seul le plaisir en a été le moteur. Parfois ces boutiques sont fermées alors que les horaires annoncent le contraire.


Peu de passants. C’est supportable même agréable. On aurait presque envie de proposer un café à l’un d’entre eux pour se raconter nos journées, juste perdre un peu de temps pour le gagner en partage.


J’ai beau chercher, pas de super-cars ici, ni de Rolex. La folie des grandeurs n’a pas sa place. Et c’est justement toute cette modestie qui rend le séjour dans ces lieux si apaisant, ressourçant. Je me suis arrêté pour acheter un pain au chocolat et boire un café un matin. Il n’a fallu qu’une minute pour qu’un homme y pénètre, et entame la discussion avec la jeune boulangère. L’humour et l’autodérision dès le premier échange, les regards communiquent entre chaque personne présente : ici, pas besoin d’être amis pour s’entendre et discuter. Ni de convenir d’un rendez-vous, la disponibilité est un contrat tacite. En fait, rien ne presse, nous avons le temps.

On reprend la route en s’éloignant comme on dit au revoir à un ami qui va nous manquer après un diner qui n’en finissait plus. C’est le sentiment que l’on avait jeune, la magie que l’on partageait étudiant avec nos amis à l’aube de nos vies. Quand l’essentiel était encore là, quand nous avions encore quelque chose d’humain à partager et que la productivité ne nous avait pas encore pétrifié de peur.


C’est cela que l’on manque lorsqu’on est lancé à 130Kilomètres heures sur l’autoroute, vitesse maximale dépassée aisément pour arriver quelques minutes en avance. Pour s’arrêter dans un fast-food sans « perdre » de temps, toilettes incluse. C’est ça que je fuis par-dessus tout.


Je m’arrête si j’en ressent le besoin sans compter les minutes. J’oublie l’horloge, je la balance par la fenêtre pour être plus présent à mes actes quotidiens, aussi simples soient ils. C’est pour ça que je suis parti.
Les lieux en pleine nature m’inspirent, il m’offre l’apaisement indispensable au recul sur mes ressentis, mes souvenirs récents.


La sérénité du séjour en direction de Tournai était bénéfique pour un retour à l’intimité. Je me suis recentrer sur mon projet et les préoccupations qu’il demande. Ce n’est pas une simple visite touristique européenne. J’espère un parcours initiatique pour acquérir de véritables valeurs. Assainir ma vie, démêler le faux du vrai pour mettre de l’ordre.


Soyons honnêtes, qui dans cette vie n’a pas eu le pressentiment que quelque chose cloche ? Je peine à croire que la frénésie actuelle passe inaperçue, que ces dégâts épargnent qui que ce soit, des plus démunis au plus fortunés.


Revenir à soi-même, marquer une pause dans mon existence, c’était nécessaire. Après avoir longtemps souffert d’une rectocolite hémorragique qui s’est stabilisée pendant le premier confinement après de longues années de souffrance quotidienne, d’insomnies, d’anxiété chronique, de dépressions. Le temps ? Nous n’en n’avons même plus pour se rétablir car tout presse. Guérir, vite, pour retourner s’épuiser moralement et physiquement dans des activités qui nous dévorent, des métiers qui nous éreintent.


J’ai tout abandonné, espérant un chemin différent pour mon avenir, où ce que je peine à vendre, faute d’être un businessman, prendrait une place essentielle dans ma vie. J’étais en colère que l’appel intime à l’accomplissement personnel puissent être autant nié au quotidien. Révolté que la seule politique soit celle de l’accumulation et de la possession.


Rêver d’un avenir sûr, j’ai couru après, une décennie, avec un métier particulièrement décourageant par son irrégularité financière. Je m’enrichissais, la sécurité financière se renforçait, j’étais de plus en plus inquiet. Quel paradoxe. Jeune, on s’insère professionnellement. Un premier boulot, un chèque pour une fresque réalisée dans l’angoisse de l’échec. La machine est lancée, on ajuste plaisir et modération tiraillé par la peur et le manque. Proportionnellement, on décompense la tension professionnelle dans l’alcool, les conduites dopaminergiques, la consommation, l’appropriation.


Un shoot de dopamine pour rééquilibrer le surplus de cortisol.


On se drogue, légalement chez un pharmacien, illégalement chez un dealer, on s’octroie un plaisir fugace pour se ressourcer dans les délais impartis, sans quoi, pas de rentabilité, pas d’efficacité . Ni hasard, ni inattendu. Si un moment se dessine pour se reposer : je dois être heureux, c’est pourquoi je ne l’étais pas. l’interdiction d’être inefficace lorsqu’on s’affaire, la permission temporaire d’être malade. Tout est conditionné. Rien n’échappe à la machine moderne. Elle avance qu’on le veuille ou non, et son inertie anéanti tout ce qu’il y a d’imprévisible.


Voilà pourquoi je suis parti. J’ai envoyé valser mon avenir serein et prévisible, le confort et l’avenir social.
Je regarde par la fenêtre de ma voiture, le vent pousse des épis de blés, le courant emporte 3 canards immobiles, le silence protège un cheval observant l’horizon flamand. Face à ce spectacle sans artifices, une seule chose à faire : me taire et respirer.

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